Pourquoi ce projet ?

Que ce soit en terme de quantité, de qualité ou de modalités, la question de l'accès à l'alimentation aujourd'hui en reste une question importante :
- Pourquoi tout le monde ne peut se nourrir comme il le souhaite encore aujourd'hui dans des pays comme le nôtre ?
- Quelles sont les personnes exclues ? Pourquoi le sont-elles ?
- De quelles solutions disposent-elles dans le système aujourd'hui ?
- Quelles solutions seraient à envisager pour que tous, dans notre société, accèdent à l'alimentation qui leur convient ?

Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons lu les travaux et études menés au niveau national sur les thématiques de l'aide alimentaire et des circuits courts, nous avons eu des entretiens avec les acteurs du territoire dans ces deux domaines. Ce travail a permis au collectif de connaître plus finement la réalité du terrain et de faire évoluer son projet pour qu'il soit mieux adapté aux besoins identifiés. Il s'est penché sur ce que l'on entend par « épicerie sociale et solidaire », mais aussi sur les différents profils des personnes souffrant d'insécurité alimentaire. Et a découvert des profils très divers, avec des besoins et des attentes bien différents.

1 - Epiceries sociales, épiceries solidaires, de quoi parle-t-on ?

Les épiceries sociales et solidaires sont depuis 1990 de nouvelles formes d'aide alimentaire. Dans ces lieux, la volonté des travailleurs sociaux est de proposer un autre mode de distribution qui se veut moins stigmatisant. Plusieurs formes d'épicerie sociale et solidaire sont à distinguer.

Certaines sont ouvertes exclusivement aux bénéficiaires des minimas sociaux. Elles proposent des produits dont le prix de vente se situe entre 10 et 30% de leur valeur en magasin « classique ». Ces produits proviennent du réseau de l'aide alimentaire.
Portées par des collectivités publiques (CIAS - Centre Intercommunal d'Action Sociale, CCAS - Centre Communal d'Action Sociale), elles sont nommées « épiceries sociales ». Portées par des associations, elles prennent généralement le nom d' « épiceries solidaires ». Au-delà de l'accès aux produits pour des prix extrêmement bas, et d'une sensibilisation à la nutrition ou à la gestion d'un budget, ces structures définissent avec le bénéficiaire un projet à réaliser pendant la durée de l'accompagnement. Les économies effectuées sur le poste alimentation de son budget doivent lui permettre de réaliser un projet, tel que passer le permis de conduire ou partir en vacances. Plus loin qu'un commerce, l'épicerie est en fait un outil d'insertion sociale.

De nouvelles formes d'épiceries solidaires émergent depuis quelques années. Portées par des collectifs de citoyens, elles se veulent ouvertes à tous afin de favoriser la mixité sociale. Elles proposent le plus souvent des produits locaux et/ou biologiques, et pratiquent une tarification différenciée (généralement une remise de 30% maximum, c'est-à-dire une vente à prix coûtant) aux publics disposant de faibles ressources.
De nombreuses initiatives existent en France, mais il est intéressant de noter que chacune a trouvé sa forme et son mode d'organisation appropriés. Parallèlement à l'activité de vente, des actions autour de l'alimentation sont menées pour sensibiliser au « mieux manger ». Ces collectifs s'interrogent plus largement sur le problème de l'accès à l'alimentation, convaincus que l'alimentation peut être un réel outil de lutte contre l'exclusion sociale et pour sa prévention.
Certes la façon de se nourrir a un impact incontestable sur la santé des personnes, mais les repas favorisent également l'échange, en famille comme à l'extérieur. Leur rythme permet aussi de donner des repères temporels, et renforce l'estime de soi du fait des connaissances acquises dans la gestion de son alimentation.


2 - Les publics bénéficiaires : différents profils, différentes attentes

Les études consultées, et notamment une étude publiée en avril 2015 1, confirment que les personnes en situation d'exclusion alimentaire ont un certain nombre d'attentes vis-à-vis de l'aide alimentaire : qualité et diversité des produits, liberté dans le choix des denrées. On constate qu'elles ne trouvent pas toujours les bonnes réponses dans les dispositifs existants.
Ces mêmes études constatent aussi que ces dispositifs ne concernent pas toutes les personnes en situation d'exclusion alimentaire. Les problèmes financiers ne sont pas le seul frein à rentrer en jeu dans la précarité alimentaire. Un manque d'équipement, la mobilité, la situation socioprofessionnelle, etc. en sont également.
En regroupant les ménages selon les modalités de gestion choisies, et le recours -ou non- à l'aide alimentaire, cette étude a déterminé une typologie des bénéficiaires et des non-bénéficiaires de l'aide alimentaire :
 
  • Type 1 : l'autogestionnaire. Il connaît une baisse de ressources importante. Pour y faire face, il modifie ses modes de consommation et économise sur les dépenses pouvant être ajustées, tout en continuant de payer les frais incompressibles (loyer, emprunt, ...). Il mobilise peu l'aide alimentaire, par méconnaissance des dispositifs et du fait de leur représentation négative. Il estime le plus souvent que ces systèmes ne le concernent pas. Il préfère avoir recours à la solidarité familiale et sociale.
     
  • Type 2 : le gestionnaire indirect. Il dispose de peu de ressources (éventuellement irrégulières) mais trop importantes quand même pour accéder à un certain nombre d'aides sociales. Avec des charges mensuelles incompressibles élevées, son budget est difficile à gérer, lui laissant peu de latitude face aux imprévus. S'il sollicite les travailleurs sociaux, c'est avant tout pour obtenir un financement destiné à payer des factures, et non pour solliciter de l'aide alimentaire.
     
  • Type 3 : le multi-activateur. Il a pour seules ressources les aides sociales. Elles sont stables, mais peu élevées par rapport à ses charges. Il peut passer d'une structure d'aide alimentaire à une autre, voire en fréquenter plusieurs, tout en ayant un sentiment mitigé vis-a-vis des associations. D'un côté, il reconnaît y trouver un réconfort, mais de l'autre, il regrette une offre peu diversifiée et de moindre qualité. Il vit également mal la relation qui s'instaure avec les bénévoles, relation qui peut être culpabilisante ou infantilisante.
     
  • Type 4 : le mono-gestionnaire. Il dispose de ressources très faibles, ou nulles, et cumule les difficultés (économiques, sociales, administratives et/ou résidentielles). Le plus souvent, de par sa situation, il n'est pas intégré aux circuits de l'action sociale, et son réseau d'entraide parait inexistant. Sa seule solution pour se nourrir est l'aide alimentaire, or celle-ci n'a pas vocation à fournir l'ensemble des repas. Le mono-gestionnaire exprime différentes critiques vis-a-vis des structures d'aide alimentaire. Ces critiques portent notamment sur les denrées proposées (parfois éloignées de ses pratiques alimentaires) en terme de quantité, de diversité mais aussi sur leurs conditionnements pas toujours adaptés à sa capacité matérielle de stockage et de préparation.

Si dans cette typologie, les types 3 et 4 sont identifiés et pris en charges par les dispositifs sociaux, les types 1 et 2 sont hors de ces circuits et cependant subissent également l'insécurité alimentaire. L'objectif est donc bien d'atteindre ces non-bénéficiaires de l'aide alimentaire, ainsi que les ménages qui ne font pas partie des usagers actuels des circuits de proximité. Ils trouvent les prix pratiqués trop élevés, et peinent à aller s'y approvisionner. Les difficultés proviennent :
  • d'un défaut d'offre (produits locaux peu présents dans les circuits de l'aide alimentaire et pas toujours présents dans les commerces de proximité).
  • d'un problème d'accès physique (problème de mobilité ne permettant pas de se rendre sur les lieux de distribution).
  • d'un défaut d'information (méconnaissance de l'offre : où, quand, comment, trouver ces produits ? Quelles conditions éventuelles pour y prétendre ?).
  • d'un problème d'image de ces circuits, avec lesquelles ces personnes ne souhaitent pas être associées : du côté de l'aide alimentaire, un dispositif trop stigmatisant ; du côté des circuits courts, une image « trop bobo ».

Pour améliorer l'accès à l'alimentation, il est proposé, dans l'étude sur l'insécurité alimentaire déjà citée, d'analyser la complémentarité et les articulations possibles entre les aides alimentaires nouvelles et celles plus classiques. Il est suggéré aussi d'imaginer des solutions, en marge de l'aide alimentaire, pour les ménages ne pouvant y prétendre et pourtant en insécurité alimentaire. A travers son projet, LECABAS tente de répondre à ces deux besoins: permettre à tous d'accéder à une alimentation de qualité en soutenant l'agriculture locale.

 
1 Benjamin Badia et al., Inégalités sociales et alimentation : Quels sont les besoins et les attentes en termes d’alimentation des personnes en situation d’insécurité alimentaire et comment les dispositifs d’aide alimentaire peuvent y répondre au mieux ?, Paris, Ministère de l’agriculture & FranceAgriMer, 2014.